Je l’observe depuis un moment. Grande. Brune. Arborant une longue chevelure foncée. Digne. Majestueuse. Intimidante. Elle affiche la fierté des femmes du sud, de celles qui ne se laissent pas importuner. Regard sombre qui vous transperce. Élégance naturelle.
Elle vend des vêtements pour les hommes dans un grand magasin. Le genre d’endroit où la moindre paire de chaussettes coûte une fortune. Où les marques occupent l’espace. Où, en principe, je ne mets jamais les pieds.
Premier jour de soldes. J’erre dans les allées, passant d’un rayon à l’autre. Par curiosité. Je ne cherche rien. Ma garde-robe est complète : trois jeans, douze tee-shirts, et trois pulls. De quoi tenir toute l’année. Je me contente de peu.
J’avise la vendeuse. Toute de noir vêtue. Elle porte une longue jupe asymétrique qui lui caresse les chevilles à chaque mouvement. Rien d’ostentatoire. Juste ce qu’il faut pour m’ensorceler.
Elle conseille un couple. L’homme sort d’une cabine d’essayage, visiblement déçu.
« Vous n’avez jamais port de chinos ? », tente la belle brune.
« Les quoi ? » demande la femme.
« Suivez-moi, je vais vous montrer ».
Les pantalons en question sont alignés sur leur présentoir. Beige. Gris. Bleu pâle. L’homme ne semble pas convaincu. Sa compagne en revanche est intéressée. Une discussion démarre sur les avantages et les inconvénients des chinos. Madame multiplie les arguments. Monsieur tergiverse.
La vendeuse s’écarte, sûrement habituée à vivre ce genre de scène. Elle plie un polo rose qu’un malotru avait jeté en boule. Ses gestes sont précis, rapides. Rien ne peut la perturber. Puis elle revient vers le couple, suggère un nouvel essayage. L’homme cède, s’enferme dans la cabine, deux chinos sur le bras. La femme jubile.
J’en profite pour me faufiler jusqu’aux fameux articles. Je tâte l’étoffe. J’étudie les étiquettes. Comme souvent, ma taille n’est pas proposée. J’appartiens à une catégorie en voie de disparition. Celle des petits gabarits. Mes muscles sont riquiqui. Je ne mange pas beaucoup.
De toute façon, je déteste les chinos. Leur côté baroudeur m’horripile. Les couleurs fadasses me désespèrent. Leur coupe ne me va pas. Je reste pourtant planté devant le présentoir, bêtement.
« Vous cherchez quelque chose ? »
La vendeuse vient de me parler. Je n’en crois pas mes oreilles. Elle se tient là, en face de moi, un vague sourire aux lèvres, le regard interrogateur, la voix douce. Je remarque les sourcils parfaitement dessinés, les cils fournis, les paupières soulignées de khôl, le parfum discret.
« C’est toi que je cherche », je devrais répondre. « Cela fait trop longtemps que je t’attends. Tu es tellement belle. Permets-moi de t’offrir un verre. Ce soir ou un autre jour. Pour faire connaissance. »
Mais je balbutie :
« Je ne fais que regarder. Merci ».
Deux minutes plus tard, je sors du magasin. La tête pleine de « si j’avais dit cela » et de « si j’avais fait ceci ». Comme souvent, je m’en veux de n’avoir rien tenté. Je me sens nulle.
La prochaine fois, j’oserai. C’est promis.