Le futur condamné se présente bientôt. Sûr de lui. Il refuse de s’asseoir, accepte de boire un café et d’enfourner trois croissants à la suite.
‒ Je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer, prétend-il. Je dois tout faire. On manque de main-d’œuvre. Les jeunes ne veulent plus travailler. C’est bien les études, mais tout le monde ne peut pas devenir ingénieur. On aura toujours besoin de larbins pour faire le sale boulot.
‒ Ce ne sera pas long, le rassure Virginie. Hier soir, madame Laquiche vous a demandé de mettre son sac dans le frigo de la cuisine.
‒ Vous êtes témoin. Vous avez vu comment elle m’a traité ? C’était soi-disant urgent. Elle ne pouvait pas attendre deux minutes. Elle bloquait l’accueil. Je n’avais pas que ça à faire. En plus de la réception, je m’occupais du service et de la plonge.
‒ Je comprends. Vous avez donc mis le sac dans le frigo.
‒ Pour qu’elle débarrasse le plancher.
‒ Que contenait le sac ?
‒ Aucune idée. Sûrement de la bouffe pour le clébard.
‒ Vous ne l’avez pas ouvert ?
‒ J’en avais rien à faire de ce fichu sac.
Le réceptionniste vient de poser une fesse sur le bord d’une table. Les bras croisés, il attend la suite, goguenard.
‒ Qu’elle heure était-il ? s’informe la détective.
‒ Autour de vingt et une heures, je pense. Les derniers clients du restaurant tardaient à partir. J’ai dû allumer la radio.
Virginie ne relève pas la remarque. À quoi bon ?
‒ Je suppose que le frigo est inaccessible la nuit, déduit-elle.
‒ Je ferme tout à vingt-deux heures trente. L’accueil, les portes d’entrée, les salles et bien sûr la cuisine. Hier comme les autres jours. C’est la règle.
‒ Pour ouvrir à quelle heure le matin ?
‒ Sept heures.
‒ Vos nuits sont courtes.
‒ Je ne vous le fais pas dire.
Julien Taloche ne semble pourtant pas épuisé.
‒ Vous n’avez rien noté de particulier hier soir ? demande Virginie. Ou ce matin. Il ne s’est rien passé d’inhabituel ?
Un sourire ironique aux lèvres, le réceptionniste feint de réfléchir. Il scrute le plafond et se lance :
‒ Madame Froment est descendue. Elle avait un problème avec sa tablette. Elle prétendait que le wifi ne marchait pas. Elle a tellement insisté que j’ai dû l’accompagner dans sa chambre pour vérifier. Évidemment, tout fonctionnait normalement.
‒ Vous vous souvenez de l’heure ?
‒ Vers vingt et une heures trente. Je me demande ce qu’une vieille peut faire sur internet à cette heure-là. Elle cherche peut-être un petit jeune à entretenir. À moins qu’elle visionne des films pornos.
Julien Taloche grimace comme s’il imaginait la scène.
‒ Donc, madame Froment est descendue à la réception après l’épisode du sac ?
‒ Tout à fait.
‒ Mesdames Laquiche et Froment sont amies, n’est-ce pas ?
‒ Avec madame Morteau. Ces trois-là sont inséparables. Plusieurs fois par an, elles passent quelques jours à l’hôtel. Elles débarquent en même temps, s’en vont le même jour, prennent leurs repas ensemble. Sauf le petit-déjeuner. Madame Laquiche vient d’abord récupérer son sac pour nourrir sa chienne en premier. Quand elle rejoint la salle, les deux autres sont déjà parties.
Le réceptionniste ne semble plus pressé d’achever l’interrogatoire. Cette histoire l’amuse. Il se sert un second café, oubliant son statut de salarié.
‒ Vous utilisez de la mort-aux-rats ? s’informe Virginie.
Julien Taloche ricane avant de répondre :
‒ Demandez au chef.
Virginie sourit.
‒ Vous ne devez pas manquer de rats ici ? insiste-t-elle.
‒ Il y a sûrement plus de rats que de clients.
À cet instant, Charlotte pousse la porte. Le temps imparti à l’interrogatoire est dépassé.
‒ Aux suivants ! s’exclame-t-elle joyeusement.