La troisième grâce se fait attendre. Charlotte en profite pour s’introduire dans la salle.
‒ Alors ? demande l’assistante.
‒ Ça avance.
L’assistante a consulté la météo. Entre « rares averses », « éclaircies » et « pluies éparses », les nuances demeurent mystérieuses.
‒ Tu règles cette histoire en vitesse, et on va faire un tour. J’étouffe. Je manque d’air.
‒ Je dois remplir ma mission, s’excuse Virginie.
‒ Tu parles d’une mission ! Tu ressembles autant à une détective que moi à un pilote de ligne.
Dehors, le ciel vire au blanc. Peut-être le signe annonciateur d’un changement de temps.
‒ Tu as raison. Encore deux interrogatoires et je classe l’affaire. Ensuite, on fout le camp. Tes désirs sont des ordres.
‒ Parfait.
‒ Va chercher madame Morteau.
Deux minutes plus tard, le quatrième témoin fait son entrée. Démarche hésitante. Regard doux. Fragile. Une brindille. Un fétu de paille. Le moindre courant d’air pourrait l’emporter. Heureusement, les fenêtres sont fermées.
‒ Excusez mon retard. Je me déplace mal, déclare-t-elle.
‒ Prenez votre temps.
‒ Ce n’est pas ce que vous croyez. Je me suis blessée ce matin pendant mon entraînement. J’ai trop forcé.
‒ Quel entraînement ?
‒ De karaté. Je prépare le prochain championnat senior.
‒ Vous plaisantez ?
‒ Pas du tout. J’ai toujours été active. Je ne peux pas me passer de sport. Je nage. Je marche. J’ai aussi pratiqué la boxe et couru plusieurs marathons. Pas vous ?
‒ Non.
‒ Vous devriez.
‒ Je suis allergique au sport.
Julie Morteau s’assoit en grimaçant.
‒ Vous préférez jouer à la détective, constate-t-elle.
‒ Je dois avouer que j’y prends goût.
‒ Ce serait plutôt à moi d’avouer.
‒ Vous avez quelque chose à vous reprocher ? s’étonne Virginie.
‒ Qui n’a rien à se reprocher ?
Le regard de Julie Morteau pétille.
‒ Que risque la coupable ? s’informe-t-elle.
‒ Lui ou elle sera flagellé en place publique et jeté en pâture aux phoques.
La vieille femme pouffe.
‒ Vous les avez vus ? ajoute-t-elle.
‒ Les coupables ?
‒ Non, les phoques. Ils arrivent lorsque la marée commence à descendre. Ce sont des éclaireurs. Ils sont venus nous observer. Bientôt, ils vont nous envahir.
Virginie explore ses notes. Comment ne pas s’y perdre ? Des flèches relient des mots illisibles.
‒ Depuis quand connaissez-vous madame Laquiche ?
Julie Morteau réfléchit.
‒ Cinq ou six ans, à tout casser, répond-elle. Nous fréquentions le même cours de gym aquatique.
‒ Et madame Froment ?
‒ Depuis l’école. On a fait les quatre cents coups ensemble avant de se perdre de vue. On s’est retrouvées au moment de la retraite.
‒ Vous étiez déjà veuve à l’époque ?
‒ Pour être veuve, j’aurais dû commencer par me marier. Quelle horreur ! J’ai échappé aux joies de la vie conjugale.
Julie Morteau s’esclaffe.
‒ Qu’avez-vous fait après le dîner hier soir ? tente l’écrivaine.
‒ J’ai regardé la télé dans ma chambre. Un jeu débile. Cuisine et chansons. J’aurais mieux fait de dormir. Je suis insomniaque. J’évite de me coucher trop tôt.
‒ Qui a gagné ?
‒ Aucune idée. Ce genre d’émission s’oublie tout de suite.
‒ Vous pouviez changer de chaîne.
‒ Cela ne vous arrive jamais de rester plantée devant un écran à regarder des inepties ?
Virginie mordille le stylo, en signe d’agacement.
‒ Vous n’avez rien remarqué de particulier ? ajoute-t-elle.
Julie Morteau fait mine de réfléchir.
‒ A un moment, j’ai entendu du bruit dans le couloir. J’ai doucement ouvert la porte et j’ai vu…
‒ Quoi ?
‒ Une silhouette qui sortait d’une chambre. Elle tenait un long couteau ensanglanté.
‒ Vous vous moquez de moi ?
‒ Si peu !