Le mystère de la pointe aux phoques épisode 10

Le mystère de la pointe aux phoques — épisode 10

Le soleil brille. Enfin ! Contre toute attente, la couver­ture de nuages s’est déchirée sur un ciel bleu de bon augure. Une conséquence du changement de marée, peut-être.

Charlotte et Virginie se sont assises à une terrasse, le temps de prendre un verre. Une bière pour la première. Un soda pour l’apprenti détective qui souhaite garder les idées claires.

Elles ont choisi un troquet qui ne paie pas de mine. À l’écart des restaurants branchés destinés aux amateurs de hamburgers et de pizzas. Le long de la promenade qui sur­plombe la plage. Quelques tables en formica. Une serveuse sexy. Et surtout, pas de musique ni d’écran. Avec en prime une vue imprenable sur l’océan. Les touristes se bague­naudent, insouciants. Des familles défilent, encombrées de sacs. Par grappes. Des enfants piaillent. Les capitaines de vacances mènent la danse. Des femmes, pour la plupart, qui distribuent les rôles, qui organisent, qui ordonnent, qui lancent le signal du départ. Tout le monde les suit. Grands et petits. L’heure n’est pas à la contestation, encore moins à la révolution.

Quelques silhouettes pataugent dans les flots. Pas une vague à l’horizon. Des bouées jaunes délimitent l’espace surveillé. Le drapeau est vert.

‒ On n’est pas bien ici ? lance Charlotte.

Virginie acquiesce. Elle mangerait bien quelque chose. Les interrogatoires de la matinée lui ont ouvert l’ap­pétit.

‒ Moules frites, décrète-t-elle.

À quinze kilomètres de la pointe de phoques, tout semble différent : la lumière, la chaleur, l’ambiance. Les chiens ne sont pas empoisonnés.

‒ J’aurais dû prévoir un maillot, regrette Charlotte.

‒ On est toujours un peu décalées.

‒ Nous ne sommes pas les seules.

Deux femmes viennent d’apparaître. La première, blonde, porte un pull orange à grosses mailles, un pantalon étroit et une paire de tennis rouges. La seconde, noire, a re­vêtu une chemise blanche à rayures bleues ou bleue à rayures blanches ainsi que l’habituel jean. Une fillette mé­tisse les accompagne. Cinq ans. Ou six. Affublée d’une va­reuse jaune et d’une robe. Le groupe s’installe en haut de la plage, bien loin de l’eau. Elles explorent leurs volumineux sacs. En sortent deux serviettes qu’elles prennent soin d’éta­ler l’une à côté de l’autre. La femme noire aide ensuite la fillette à se déshabiller, couche après couche. Sans oublier les tennis et les chaussettes. L’enfant est docile, silencieuse, se laisse manipuler. La scène se termine par une photo, prise par la blonde. La gosse arbore alors un joli maillot une-pièce rose. Un volant lui entoure la taille. Elle ne bouge toujours pas, attend des consignes, une autorisation.

‒ Qui sont ces nanas ? s’interroge Virginie. Des amies ? Des sœurs ? Des voisines ?

‒ Un simple couple qui vient se baigner.

Virginie leur invente des maris, en train de roupiller, d’autres enfants qui ont refusé de se déplacer, des ados, en pleine crise. Des amants qu’elles rencontrent en cachette. Quelques étreintes passionnées.

La blonde a ôté son pull, découvrant ainsi le haut d’un maillot de bain noir. Elle a gardé son pantalon, ses tennis. La fillette s’empare alors d’un sceau, d’une pelle dont elle ne semble pas savoir quoi faire. Elle hésite à s’asseoir, s’ac­croupit, se redresse, fait quelques pas.

Bientôt, les deux femmes se jettent sur leurs smart­phones. Elles explorent, scrollent, consultent, répondent, coupées du monde, nullement concernées par les individus dénudés qui les entourent, ni par le décor. Elles sont ailleurs.

Entre-temps, la fillette s’est approchée de l’eau pour y tremper les orteils. Autour d’elle, les enfants crient, rient, jouent, s’éclaboussent, plongent. Mais elle n’ose pas s’aven­turer trop loin. Tout juste se risque-t-elle à se mouiller les cuisses, et peut-être le maillot.

‒ Regarde, commente Virginie.

Soudain, la blonde de dresse sur sa serviette, scrute l’horizon, affolée. À grandes enjambées, elle traverse la plage, se déchausse, remonte le bas de son jean et pénètre dans l’eau. Elle rejoint la fillette, l’agrippe par un bras, la ra­mène sur la terre ferme en hurlant.

‒ J’avais raison, constate Charlotte. C’est un couple.

‒ Un brin décalé, en effet.

Dix minutes plus tard, après de longs échanges ani­més, la petite, rhabillée de force, se glisse dans la file d’at­tente d’un glacier. Un cornet sera-t-il suffisant pour vaincre ses frustrations ? Se souviendra-t-elle toute sa vie de ce triste épisode ? Ou l’oubliera-t-elle ?

‒ La prochaine fois, elles partiront à la montagne, dé­crète Virginie.

‒ Ou à la campagne.

‒ Je les imagine déjà au milieu des vaches.

‒ Les pieds dans les bouses.

Les deux commères pouffent.

‒ Deux moules marinières, commande Charlotte à la jolie serveuse qui passe par là.

‒ Et une bouteille de vin blanc, ajoute Virginie.

‒ Tu ne veux plus garder les idées claires ?

‒ J’en ai ras le bol de cette enquête. Je me suis fourrée dans un sacré guêpier avec cette histoire de clébards. J’ai horreur des toutous à leur mémère. Quand j’en croise un, j’ai envie de shooter dedans. Tu sais ce qu’on va faire ?

‒ Manger une glace. Après les moules, bien sûr.

‒ On va se torcher et tout envoyer bouler.

‒ Et ta réputation ?

‒ Je suis autrice, pas détective.

Déjà, la serveuse amène une bouteille qu’un voile de buée recouvre. Le bouchon saute. Le vin coule. Des sourires s’échangent.

‒ A Choupette ! s’exclame Charlotte en levant son verre.

Image par CANDICE CANDICE de Pixabay

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