Le mystère de la pointe aux phoques épisode9

Le mystère de la pointe aux phoques — épisode 9

Alors que Virginie poursuit ses auditions, Charlotte fouine dans l’hôtel. Elle se prend au jeu, écoute, observe, jauge. Certes, elle préférerait se prélasser sur une plage de sable fin et se tremper dans des eaux tièdes. Mais la météo n’est pas propice à la bronzette et encore moins à la bai­gnade.

Pour tromper l’ennui, l’assistante furète autour des personnes qui ont échappé à l’enquête. Elle s’intéresse parti­culièrement à Ludivine, cette jeune femme de chambre qui connaît les pratiques des clients. Elle s’introduit dans leur in­timité, rafraîchit les lits, change les serviettes, nettoie les sa­nitaires, vide les poubelles. Rien ne lui échappe.

La plupart des vacanciers ne font que passer. Une nuit ou deux. Trois, tout au plus. En majorité des retraités. Des vieux couples qui prennent des congés pour faire comme tout le monde. Ils transportent leurs habitudes dans leur va­lise, dorment ensemble, mangent ensemble, sortent en­semble, vivent ensemble sans jamais se parler réellement. Les rares paroles échangées se limitent au quotidien. Des ba­nalités qui leur permettent d’éviter les conflits. Le temps les a façonnés. Lequel des deux a détint sur l’autre ?

‒ C’est fou ce que les gens peuvent laisser derrière eux, commence Ludivine entre deux portes ouvertes sur des lits défaits. La semaine dernière, j’ai récupéré un god. Un truc énorme. Personne ne l’a réclamé. Souvent, ce sont des bouteilles de vin ou de canette de bière. Une fois, une femme a oublié sa robe de mariée. Peut-être que la nuit de noces s’était mal passée. Faut déjà avoir envie de se marier dans le coin.

‒ Vous êtes originaire de la région ? demande Char­lotte.

‒ Pas du tout. J’ai choisi ce boulot pour boucler mon budget. Je vais parcourir le monde en stop pendant les trois prochaines années. J’ai trouvé un cargo pour rejoindre le Brésil. Je suis photographe. Je m’intéresse à la faune.

‒ Vous êtes venues ici pour les phoques ?

‒ Entre autres.

Ludivine profite de la saison touristique pour financer ses expéditions. Son travail lui convient. Elle peut ainsi va­quer à ses occupations.

‒ Les clients sont sympas ? s’informe Charlotte.

‒ Il y a beaucoup de porcs qui se croient tout permis. Ils mettent la piaule sens dessus dessous. Je ne sais pas com­ment ils se comportent chez eux. À l’extérieur, ils oublient les principes.

La femme de chambre s’intéresse surtout à ceux qui sortent de la norme. Les solitaires. Les couples illégitimes. Les anticonformistes. Ces deux trentenaires, par exemple qui lui ont proposé de partager un petit moment, hier soir.

‒ C’était comment ? s’informe Charlotte, intriguée.

Ludivine jette un tas de serviettes souillées dans un panier. Puis elle se tourne vers son interlocutrice en souriant.

‒ Génial. Je me suis éclatée. Contrairement aux ap­parences, ils sont très joueurs. Adélaïde s’est montrée entre­prenante. Et Nicolas a très bien tenu son rôle de soubrette.

‒ De soubrette ?

‒ Oui, oui. C’était très excitant.

À cette simple évocation, le regard de Ludivine s’en­flamme.

‒ Cela vous arrive souvent ? demande Charlotte.

‒ Pas assez. Les gens sont trop coincés.

La jeune femme ne manque pas d’attraits : un sourire ravageur, des lèvres charnues, une peau de pêche, une cheve­lure abondante, blonde. Quand elle inspire, sa poitrine se gonfle. Ses mamelons pointent sous le top.

‒ Je suis ouverte à toutes les propositions, ajoute-t-elle.

‒ Nous partons demain, balbutie Charlotte. Avec une journée d’avance sur ce qu’on avait prévu.

‒ Déjà ?

‒ On s’ennuie un peu.

‒ Il reste ce soir. Si ça se trouve, vous n’aurez plus envie de foutre le camp.

‒ Qui sait ?

En compagnie du couple, la femme de chambre ne s’est pas contentée de batifoler.

‒ Ils sont bavards. Votre amie devrait les interroger au sujet de ce qu’ils ont vu hier.

‒ Qu’ont-ils vu ?

‒ Demandez-leur.

Dix minutes plus tard, Charlotte découvre Virginie, rê­veuse absorbée par la contemplation de la baie vitrée.

‒ J’ai deux bonnes nouvelles, s’exclame l’assistante.

‒ Dis toujours.

‒ J’ai discuté avec une petite coquine qui propose d’animer nos soirées.

‒ Ludivine, je suppose ?

‒ Comment tu sais ?

‒ J’ai eu droit à la même proposition. Et la deuxième bonne nouvelle ?

‒ La voilà !

Le couple de trentenaires vient de faire son entrée dans la salle. Lui, insignifiant en polo noir et chino clair. Elle, presque transparente dans sa robe beige. Ils hésitent, n’osent pas avancer, semblent prêts à revenir sur leurs pas. Charlotte les invite à s’asseoir. Ludivine a su les convaincre de témoigner. Elle a trouvé les bons arguments, et peut-être promis de nouveaux jeux.

‒ Nous vous écoutons, déclare Charlotte.

Les deux protagonistes se dévisagent. Lequel va inter­venir ? Charlotte sourit. Une image furtive vient de traverser son esprit. Celle du jeune homme en soubrette. Ses traits fins facilitent sans doute le passage d’un genre à l’autre.

‒ Hier soir, nous prenions notre apéritif à notre table habituelle, murmure Nicolas Grisette.

‒ Vers dix-neuf heures, ajoute Adélaïde Latrique.

‒ Sur le moment, on n’y avait pas prêté attention.

‒ Nous avons pensé que cela pouvait vous aider.

‒ Quoi ? les interrompt Virginie, impatiente.

‒ Les deux vieilles femmes cueillaient des baies rouges dans le jardin, déclare l’homme.

‒ Puis elles ont rejoint leur table, comme d’habitude, complète sa compagne.

‒ La troisième femme est arrivée plus tard sans son chien.

Sa mission accomplie, le couple se tait dans l’attente d’une éventuelle suite.

‒ Vous dînez tôt, constate Charlotte.

‒ Nous aimons profiter de nos soirées, répond inno­cemment Adélaïde Latrique.

Virginie ferme son cahier, pose son stylo. Ainsi se closent les interrogatoires.

‒ Je vous remercie. Votre témoignage est très inté­ressant. Je vous donne rendez-vous à dix-huit heures trente dans la salle du restaurant pour les conclusions. La maison offre l’apéro. Je compte sur vous.

Image de MurrrPhoto pour Pixabay

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