Le mystère de la pointe aux phoques: épisode 3

Le mystère de la pointe aux phoques – épisode3

Pendant les vacances, une règle s’impose. Ne jamais rater le petit-déjeuner malgré son tarif exorbitant. Certes, il est toujours possible de verser une dose de café soluble dans un verre d’eau tiède, mais le plaisir est différent. À l’Hôtel de la Pointe, le buffet est ouvert jusqu’à dix heures trente. Une heure tardive pour certains, matinale pour Virginie et Charlotte qui auraient bien prolongé leur tendre nuit.

Le reste de l’année, l’autrice s’extirpe du sommeil à huit heures précises. L’esprit est alors disponible pour quatre ou cinq heures d’écriture. Les idées surgissent. L’inspiration est au rendez-vous. Pour le pire, et parfois, le meilleur.

Ce matin. Virginie est affamée. Son estomac grogne. Charlotte la suit jusqu’à l’ascenseur en sautillant, les batte­ries rechargées.

‒ Vous avez bien dormi ? demande une donzelle souriante.

‒ Très bien, répond Charlotte. On n’est pas dérangé par le bruit.

‒ C’est sûr, admet la femme de chambre. Bonne journée !

L’ascenseur vient d’arriver. Les deux vacancières s’y engouffrent. La porte se ferme sur la jolie blonde pétillante pour s’ouvrir, quelques secondes plus tard, sur une scène in­trigante. Au centre, l’octogénaire au jogging fuchsia pleure, assise sur un fauteuil. De chaque côté, les deux amies lui ta­potent chacune une main. En face, la directrice de l’hôtel tient un verre d’eau.

‒ Choupette est morte, déclare cette dernière.

‒ Cette nuit ? demande Virginie.

‒ Non, ce matin, affirme la femme éplorée. À mon retour dans la chambre, après le petit-déjeuner, elle ne respi­rait plus.

‒ La pauvre ! compatit l’autrice.

Déjà, Charlotte la tire par le bras.

‒ J’ai les crocs, murmure-t-elle.

Après un dernier regard sur la scène, Virginie obtem­père. Sa compagne a raison. Cette histoire ne la concerne pas. L’hôtel de la Pointe propose deux salles. La première est réservée au restaurant. Dans la seconde, à moitié remplie ce matin, se prennent les petits-déjeuners. Au centre, la famille syldave se gave, inconsciente du drame qui vient de se jouer. La femme gratifie les deux arrivantes d’un joyeux « Bon­jour » qui résonne. Des inconnus occupent les autres tables : un vieux couple taciturne, une cliente esseulée au visage fer­mé, une seconde, beaucoup plus jeune qui accompagne un sexagénaire en chemise froissée. À chacun son histoire, ses rêves, ses déceptions.

Virginie adore observer ses semblables, analyser leur attitude, leur inventer des vies. De ces études, elle tire par­fois des scènes désopilantes qui trouvent leur place dans un roman. Ce matin, elle se contente de dévaliser le buffet. Son plateau se remplit au gré des découvertes.

Charlotte s’est déjà installée à proximité de la baie vitrée. Elle étale une noisette de beurre salé sur une tartine de pain frais.

‒ Tu commences un régime ? s’amuse-t-elle.

‒ Que nenni ! Le plateau est trop petit.

‒ C’est terrible !

À l’extérieur, la grisaille est toujours présente. Aucun signe avant-coureur d’une possible éclaircie. Pas de ciel bleu. Pas de lumière. La chape de plomb qui pèse sur le jar­din ne va pas se fissurer dans l’immédiat.

Virginie hésite. Par où commencer ? Le croissant ? La chocolatine ? Une crêpe ? La confiture de figues la tente. Pourquoi pas ? Avec ou sans beurre ? Avant de trancher, elle trempe ses lèvres dans un jus d’orange qu’elle espère natu­rel.

‒ Madame Serrano ?

Virginie lève le nez pour découvrir la directrice, Fran­çoise Lamirale, qui vient de se poster devant la table.

‒ Oui ?

‒ Excusez-moi de vous déranger. J’ai lu tous vos ro­mans. Je suis fan.

‒ Merci, répond Virginie, flattée.

Charlotte soupire. Comme à chaque fois qu’elle se sent de trop. Les livres de Virginie ne lui plaisent pas. Elle les trouve trop faciles, trop optimistes, trop commerciaux. Les lectrices qui se prosternent dans l’espoir d’une pauvre signature l’exaspèrent. Leur manque de dignité. Leur absente de fierté. Elles sont prêtes à tout pour obtenir le précieux sé­same.

La directrice ne réclame rien. Un instant, elle reste im­mobile, indécise, les mains tordues, tracassée, les yeux fixés sur le jardin.

‒ Je peux vous demander un service ? ose-t-elle en­fin.

‒ Bien sûr.

Le regard de Françoise Lamirale balaie la salle, peut-être en quête d’une solution au problème qui la taraude. Elle se lance :

‒ Comme vous savez, la chienne de madame La­quiche est morte ce matin.

‒ Et ?

‒ Madame Laquiche et ses amies comptent parmi nos plus fidèles clientes.

Charlotte ingurgite un croissant, agacée par cette in­terminable introduction.

‒ Madame Laquiche soupçonne un empoisonne­ment.

‒ Par qui ? s’étonne Virginie.

‒ Justement. J’ai pensé que vous pourriez mener une enquête sur ce drame.

Au mot « drame », la directrice grimace.

‒ Moi ?

‒ Vous écrivez des romans. Vous ne manquez pas d’imagination.

‒ Pas des polars.

‒ Cela pourrait vous amuser.

Dehors, le ciel s’est assombri. Comment est-ce pos­sible ? De grosses goûtes de pluie éclatent sur la baie vitrée. Juste ce qu’il faut pour ruiner une journée de vacances. Vir­ginie pense au maillot de bain qu’elle s’est acheté pour l’oc­casion, à l’ambre solaire, à la plage.

‒ Je cherche à sauver la réputation de cet établisse­ment, déclare la directrice. Je ne vous demande pas grand-chose. Juste un coupable avant ce soir. Je saurai me montrer reconnaissante.

‒ Un coupable ? s’étonne Virginie.

‒ Madame Laquiche a sa petite idée.

Virginie sourit.

‒ On avait prévu de faire un tour, rappelle Charlotte.

‒ On le fera demain, propose Virginie.

‒ Et je fais quoi pendant que tu joues à la détective ?

‒ Tu seras mon assistante.

‒ Super.

Charlotte enfourne une chocolatine. Tant pis pour la ligne. Tant pis pour cette bedaine que Virginie déteste. Tant pis pour tout.

‒ Vous disposerez de cette salle pour mener vos in­terrogatoires, annonce Françoise Lamirale. Si vous avez be­soin de quelque chose, n’hésitez pas.

‒ Une liste des clients peut-être ?

‒ Dans cinq minutes, vous l’aurez.

‒ Et les salariés ? insiste Virginie.

‒ Le personnel sera prévenu.

‒ Je souhaiterais rencontrer le réceptionniste.

‒ Julien ? Je lui dirai. Autre chose ?

‒ Une douche, peut-être.

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